Burkina Faso : affrontement entre Ibrahim Traoré et Jafar Dicko, une rivalité qui divise jusqu’aux familles

Burkina Faso : affrontement entre Ibrahim Traoré et Jafar Dicko, une rivalité qui divise jusqu’aux familles
Date : 4 août 2025 | Par : Rédaction Actualités Afrique
Le Burkina Faso se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Alors que le pays lutte contre une insécurité persistante, une nouvelle ligne de fracture se dessine : une confrontation directe entre le pouvoir central incarné par le capitaine Ibrahim Traoré et un chef jihadiste de plus en plus influent, Jafar Dicko. Cette rivalité, loin de se limiter au champ de bataille, s’étend désormais à la sphère familiale, chaque camp s’appuyant sur sa propre fratrie pour renforcer son autorité et son emprise territoriale.
Une montée en puissance inquiétante de Jafar Dicko
Originaire du nord du Burkina Faso, Jafar Dicko est devenu l’un des chefs jihadistes les plus redoutés de la région sahélienne. Fort de son ancrage local et de sa connaissance fine du terrain, il a réussi à prendre le contrôle de plusieurs localités, souvent en l’absence de réponse étatique efficace. Dans certaines zones, il est perçu, à tort ou à raison, comme un garant d’ordre, là où l’État est absent.
Au fil des mois, Dicko n’a cessé d’étendre son influence, gagnant du terrain face aux forces armées burkinabè. Son autorité religieuse, couplée à sa capacité à structurer des réseaux de soutien, notamment via des figures proches comme ses frères, lui permet aujourd’hui de rivaliser directement avec les institutions du pays.
Ibrahim Traoré : une lutte pour restaurer l’autorité de l’État
À la tête de la transition burkinabè depuis son coup d’État en septembre 2022, le capitaine Ibrahim Traoré s’est présenté comme l’homme de la rupture. Son discours ferme sur la sécurité et sa volonté affichée de reprendre le contrôle du territoire national ont d’abord séduit une frange importante de la population, épuisée par l’instabilité.
Pourtant, malgré des efforts notables, les résultats tardent à se faire sentir. Les groupes armés continuent de gagner du terrain, et le pouvoir peine à établir une présence durable dans les zones rurales. La confrontation avec Jafar Dicko devient donc un enjeu crucial pour la crédibilité du régime militaire.
Une guerre d’influence aux dimensions familiales
Fait marquant de cette rivalité : elle se joue aussi dans le cercle familial. Des deux côtés, les frères jouent un rôle essentiel. Chez les Dicko, la fratrie est un pilier logistique et opérationnel dans les régions du Nord et de l’Est. Leurs liens familiaux leur permettent de consolider leur réseau sur des bases claniques et religieuses solides.
Du côté du pouvoir, le cercle rapproché d’Ibrahim Traoré inclut également des membres de sa famille, impliqués dans la sécurité et l’administration. Cette structuration familiale renforce la loyauté, mais alimente aussi une forme de népotisme perçue par une partie de la population comme un retour aux vieilles pratiques.
Les implications pour la stabilité nationale
La polarisation croissante entre ces deux figures pourrait accélérer la fragmentation du Burkina Faso. Les populations locales, souvent prises entre deux feux, sont confrontées à des dilemmes impossibles : collaborer avec les groupes armés pour survivre ou s’exposer à des représailles militaires.
Cette dynamique favorise l’érosion de la confiance envers les institutions, et mine les efforts de réconciliation ou de dialogue social. Le risque est grand de voir s’installer durablement une forme de gouvernance parallèle, dans laquelle les chefs de guerre remplacent l’État dans certaines zones rurales.
Le silence de la communauté internationale
Malgré l’ampleur de la crise burkinabè, la réaction internationale reste timide. Les partenaires traditionnels, comme la France ou les Nations Unies, ont été marginalisés par les choix diplomatiques de la junte. En parallèle, des puissances comme la Russie cherchent à tirer parti du vide sécuritaire en proposant leur appui militaire via des sociétés privées.
Ce repositionnement stratégique fragilise encore davantage les structures de gouvernance locale et éloigne les perspectives d’une solution politique inclusive.
Perspectives d’avenir : impasse ou sortie de crise ?
Face à cette rivalité profonde et structurée, plusieurs scénarios se dessinent. Une victoire militaire nette d’un camp sur l’autre reste peu probable à court terme. À l’inverse, un enlisement prolongé du conflit pourrait précipiter l’effondrement de l’État central, ouvrant la voie à une balkanisation de fait du Burkina Faso.
Pour éviter ce scénario catastrophe, des solutions politiques doivent être envisagées. Cela suppose de rétablir un dialogue national impliquant l’ensemble des forces vives du pays, mais aussi de renforcer la légitimité des institutions par des réformes transparentes et inclusives.
Conclusion : une lutte de pouvoir symptomatique d’un État en crise
Le duel entre Ibrahim Traoré et Jafar Dicko ne se résume pas à une simple opposition entre armée et jihadisme. Il incarne une fracture plus profonde au sein de la société burkinabè, où les dynamiques familiales, religieuses et régionales s’entremêlent dans un contexte d’effondrement de l’autorité publique.
Si cette confrontation perdure sans solution politique, elle risque de plonger le pays dans un cycle de violences difficilement réversible. Restaurer l’État, reconstruire le lien social et rétablir la sécurité doivent rester les priorités. Car au-delà des hommes et de leurs familles, c’est l’avenir même du Burkina Faso qui est en jeu.
À lire aussi :
- Dossier : sécurité et gouvernance au Sahel
- Actualités Afrique – Le Monde
- Rapports sur le Burkina Faso – Human Rights Watch
Cette rivalité, loin de se limiter au champ de bataille, s’étend désormais à la sphère familiale, chaque camp s’appuyant sur des réseaux familiaux puissants (voir notre article sur « L’influence des réseaux familiaux dans les cercles du pouvoir ») afin de renforcer son ancrage territorial.
Face à cette dynamique, le pays peine à rétablir son autorité : près de la moitié du territoire échappe toujours au contrôle de l’État ( Crise sécuritaire au Burkina Faso), et la population se retrouve souvent dépendante des groupes armés pour survivre.
Une issue durable semble passer par un dialogue national large ( Transitions politiques en Afrique de l’Ouest : enjeux et perspectives), impliquant l’ensemble des acteurs, civils comme militaires.